• RECHERCHER                       
 



Jeunesse

Pierre Dufau est né le 21 juin 1908 à Arras. Il a raconté une partie de sa jeunesse dans son livre de souvenirs « Un architecte qui voulait être architecte ». La guerre commence quand il a 5 ans. Ce sera une expérience marquante. La maison familiale est détruite par un bombardement; le père est gazé à Verdun. S'en suit une période très difficile. Rapatrié sanitaire en Suisse, le père parvient à faire venir la famille qui vivra là dans un climat plutôt hostile jusqu'à la fin de la guerre. Le père s'installe alors à Amiens où il ouvre un cabinet d'architecte. Pierre Dufau fera ses études secondaires à Amiens avant de rejoindre l'Ecole des Beaux Arts à Paris.

Les Beaux Arts

Pierre Dufau arrive aux Beaux Arts en même temps que la crise économique de 1929 développe ses effets. Il en sort au moment où les désordres sociaux et la montée du National Socialisme créent une situation explosive mais marquée par une crise profonde du secteur du bâtiment. Tout le béton est absorbé par les travaux de la ligne Maginot. La crise économique des années trente, après les désastres de la guerre de 14, a achevé de ruiner les Français. La crainte est partout qui interdit tout investissement. Pour les jeunes architectes c'est une période extrêmement précaire. Pierre Dufau est élu « grand massier » de l'Ecole des Beaux Arts en 1938 puis plus tard président de l'Union des Etudiants de Paris.

Es qualité il est partie prenante aux discussions qui autour de Jean Zay, Ministre de l'Education Nationale doit réformer en profondeur la profession d'architectes. La guerre empêche la parution de la loi. Le gouvernement de Vichy dénaturera complètement le projet et créera l'Ordre des Architectes Français qui sera toujours fortement contesté par Pierre Dufau. De ces années de jeunesse Pierre Dufau gardera le goût du combat pour les grandes idées et les affaires de la profession. Batailles contre les dérives de l'Ordre; bataille contre les atteintes à la profession d'architecte; bataille pour la réorganisation de la Mutuelle des architectes; bataille contre les blocages mis à toute construction moderne de qualité; bataille pour la reconstruction; bataille pour le logement des plus démunis; bataille pour une architecture moderne à Paris... De ces années universitaires Pierre Dufau ressort avec l'idée qu'il ne sera pas un artiste solitaire, mais un « professionnel » qui entend intervenir dans la résolution des grands problèmes rencontrés par les architectes et la société dans ses rapports avec l'urbanisme et l'architecture.

Au terme de son circuit universitaire il est « Premier Second Grand Prix de Rome ». Ce qui lui permet d'échapper au séjour à Rome qui à cette époque n'était pas particulièrement souhaitable compte tenu du règne de Mussolini, une fréquentation qu'il souhaitait éviter à tout prix.

Influences

L'école des beaux arts lorsqu'il y est élève vit encore sous le régime du joli dessin de façade façon haussmannienne. La mode est largement au style maniéré de la belle époque. Venant d'Amiens où les frères Perret introduisent de nouveaux concepts de construction basés sur l'emploi du béton, Pierre Dufau est en rupture avec le maniérisme ambiant. Il est très influencé par ce qui se passe aux Etats-Unis et les prémisses de ce qu'on appellera « l'architecture moderne », avec ses matériaux nouveaux, ses formes rigoureuses et épurées, ses nouvelles possibilités grâce à la puissance des portants. En matière d'urbanisme, il est influencé par toutes les théories sur la lumière, la bonne santé qui est le leitmotiv de cette époque avec le développement des sports de plein air, l'introduction de la verdure. Malheureusement il n'y a rien à construire sur ces fondements nouveaux en France. Pierre Dufau ronge son frein et développe une sensibilité qui lui fera définir son approche architecturale comme « cistercienne » : des formes simples fonctionnelles et puissantes suffisent à donner une âme et une personnalité à un bâtiment. Les fioritures sont inutiles. En revanche toutes les possibilités des matériaux nouveaux doivent être exploitées. La nouvelle architecture doit utiliser le béton, l'acier, le fer, le verre, le marbre, le bois dans des arrangements entièrement nouveaux. La technique permet des audaces, alors il faut avoir de l'audace.

La guerre de 39-40

Pierre Dufau a trente et un an. Il s'engage et demande son incorporation dans les « corps francs », le nom de l'époque pour les parachutistes, dans la ligne de sa passion de rugbyman aimant le dynamisme et le contact. Il est incorporé comme Sous-Lieutenant des Pompiers de Paris, un corps militaire, à la Caserne Champerret. On s'attend à de graves destructions. On a besoin de spécialistes du bâtiment dans ce corps d'élite. Paluel Marmont, son capitaine, a fait le récit émouvant des terribles moments que furent l'arrivée des Allemands à Paris, déclarée Ville Ouverte. Nous donnons ce texte par ailleurs sur ce site (insérer lein)

La vie est difficile. La maison familiale d'Amiens est détruite par un bombardement. On se rappelle que la maison familiale avait déjà été rasée en 1914 ! Pierre Dufau est blessé à plusieurs reprises. Une blessure plus grave le conduit à Saint Servan pour une rééducation pénible. Il commence à peindre des aquarelles qui aideront à tenir lorsqu'il sera redevenu civil. Elles sont échangées contre des pneus ou des tickets de rationnement ! Pierre Dufau rencontre Hélène Amsler qu'il épouse début 1942 après avoir rompu un premier mariage. De cette union naîtront quatre enfants, dont deux pendant la guerre, en 42 et 44. Des raids à vélo des plusieurs centaines de kilomètres permettent d'aller chercher dans des fermes de Normandie de quoi compléter le régime de semi disette que connaissent les Parisiens. Pierre Dufau partage son temps entre son Paris et l'agence familiale d'architectes à Amiens dont il est devenu le pilier, assurant l'essentiel du travail.

La reconstruction d'Amiens

C'est à cette époque que Pierre Dufau remporte son premier grand succès : il devient l'architecte en chef adjoint de la reconstruction d'Amiens, le poste d'architecte en chef étant réservé à une personnalité en cours à Vichy qui devra s'effacer à la Libération, le laissant architecte en chef de plein exercice pendant de nombreuses années. Face à ce dossier extrêmement difficile et polémique, il doit faire face à de nombreuses manœuvres dont certaines seront franchement infectes. Après guerre on lui communiquera la lettre de dénonciation qu'un concurrent malheureux mais d'une ténacité peu scrupuleuse a envoyé la Gestapo pour le faire déporter ! Il fera savoir à l'architecte concerné « qu'il sait » mais se refusera à toutes poursuites. La reconstruction sera un des thèmes majeurs de son combat à la Libération. Pierre Dufau écrit de nombreux articles dans la presse quotidienne aussi bien que dans les revues spécialisées. Il conseille plusieurs Ministres et devient le premier membre du corps des « architectes de la reconstruction ». Il milite inlassablement pour le logement des plus pauvres préconisant contre l'avis général les logements collectifs seuls à portée des bourses les plus plates alors que les pavillons lui paraissent trop chers et trop destructeurs d'espaces urbains pour apporter une réponse significative. Il combat pour l'élimination des taudis. Il décrit à de nombreuses reprises le cahier des charges des logements à reconstruire pour qu'ils soient sains et décents. Il plaide pour une architecture nouvelle, aérée et ensoleillée.

Au secours de l'Abbé Pierre

Cette préoccupation sociale explique qu'il est en première ligne lorsque l'Abbé Pierre lance son fameux appel. De son propre mouvement, Pierre Dufau crée une cellule de soutien avec des architectes et des entreprises du bâtiment, contribuant fonds et avances de matériaux en nature. Les pouvoirs publics lui demandent d'étudier la cité que l'Abbé veut construire au Plessis Trevise.

Le projet est très difficile. L'Abbé Pierre a exigé que la construction se fasse sur un terrain qui appartient à son organisation. Il est éloigné de tout et notamment des transports en publics. L'Abbé a des conceptions architecturales et des idées de l'accueil qui sont difficiles à admettre : pour lui un gros entrepôt chauffé suffirait. Les idées n'ont pas encore fait le distingo entre l'accueil d'urgence et le logement durable. Pierre Dufau souhaite faire de la qualité pour pas cher. Il veut des locaux durables et économiques à l'usage tout en étant sain et propice à une vie familiale. Il gagnera ce combat. Tous les plans sont exécutés à l'agence de Pierre Dufau gratuitement en même temps que les volontaires se mobilisent pour la construction les entreprises offrant matériaux et machines.

Curieusement Pierre Dufau ne s'orientera pas vers la construction de logements. Il sera certes l'architecte du grand ensemble d'Empalot dans la banlieue de Toulouse et construira plusieurs centaines de logements dans différentes opérations immobilières notamment à Paris dans le cadre de la rénovation du Vel d'Hiv ou d'autres parties du 15ième arrondissement ou dans celui de la rénovation de l'îlot Vandamme, près de la gare Montparnasse. Les hasards des commandes et des amitiés le conduiront à devenir le grand spécialiste des immeubles de bureaux.

Le théoricien de l'immeuble de bureaux

Aussi paradoxal que cela puisse paraître aujourd'hui, l'immeuble de bureau est un concept qui n'existe pas. Le Second Empire a vu la naissance de grandes nefs polyvalentes. Le siège du Crédit lyonnais par exemple doit pouvoir se convertir en grand magasin si l'idée neuve de banque de dépôts ne se concrétise pas. L'essor du « tertiaire » se fait par grignotage des appartements Haussmanniens. On connaît l'immeuble de rapport, avec son luxueux étage de direction et ses bureaux sommaires pour les subalternes. L'apparence de ces bâtiments est quasiment la même que celle des immeubles d'habitation. Quelques immeubles, plus spécifiques, sont construits entre les deux guerres. Mais ils sont rares et répondent à des préoccupations esthétiques du donneur d'ordre ou de l'architecte mais pas du tout aux besoins des employés qui sont les parents pauvres des projets. C'est à Pierre Dufau dans le cadre d'une part des travaux du Cercle d'Etudes Architecturales et à l'occasion de différents voyages aux Etats-Unis, qu'il reviendra de définir les nouveaux concepts d'un immeuble de bureaux :

tous les étages ou presque sont identiques
les bureaux sont facilement modulables
les fenêtres sont conçues pour être ouvertes sans perturber le travail
la clarté est essentielle pour un grand confort de travail
il ne faut pas hésiter à mettre de la moquette pour atténuer le bruit
l'éclairage doit être abondant mais économique ce qui suppose à l'époque l'emploi de néons
les espaces de classement doivent être prévus
les prises électriques doivent être nombreuses et utilisables là où les appareils sont nécessaires, donc près des bureaux
Il faut des parkings
Etc.

Le tertiaire étant le nouvel âge de l'économie il importe que l'esthétique des immeubles de bureaux acte ce nouvel ordre. Les bureaux seront donc des immeubles spécifiques reflétant leur fonction et pouvant s'écarter totalement de l'agencement des immeubles haussmanniens. Ils doivent donner aux employés un certain sentiment non seulement de bien être mais de modernité.

Au moment où Pierre Dufau construit le siège social de ... rue..., aucun exemple d'un immeuble conçu autour des ces idées n'existent en France. L'objet est nouveau et surprend. Les résistances à la construction d'un tel immeuble sont nombreuses. Les autorités collent encore au modèle Haussmanniens et ont inventé un concept atroce qui révulsera Pierre Dufau toute sa vie : « l'architecture d'accompagnement ». Pierre Dufau se bat et gagne au prix d'une pugnacité aussi bien dans le débat d'idée que dans la volonté de ne pas faire de compromis avec l'administration.

Cet immeuble lancera la carrière de Pierre Dufau qui deviendra le principal architecte français dans le domaine de la construction des sièges sociaux de grandes entreprises tertiaires. Il en construira des dizaines : Banque Dreyfus, Banque Rotschild, Paternelle, UAP, Snecma, ELF, Royale Belge, Sulzer, IBM, BNP, Publicis, Time& Life, sont parmi les plus connues.

Les bases américaines

Pierre Dufau a lui-même raconté comment il a été choisi comme architecte de l'ensemble des bases de l'Otan en France, par le hasard d'une amitié avec un avocat américain installé en France. Ce projet est immense et le contraint à un recrutement massif. L'agence Pierre Dufau passe en quelques semaines de quelques personnes à plus de 150. Les bases militaires n'ont pas d'intérêt architectural : il s'agit de constructions légères qui n'ont pas vocation à durer. Néanmoins Pierre Dufau s'applique à concevoir des structures simples qui bien construites dureront plusieurs fois la durée de vie prévue initialement. Nombre de ces bâtiments sont encore utilisés un demi-siècle plus tard, alors qu'ils avaient vocation à durer une dizaine d'année maximum.

Les agences


L'élan donné à l'agence est exceptionnel. Hélène Dufau après une belle carrière de journaliste et de bons débuts d'écrivains (elle arrive second lors du vote du Femina pour son roman la Belle-âge) sacrifie sa carrière personnelle et prend les rênes de l'organisation. Elle dirigera la gestion des différentes agences avec une main de fer pendant plus de 30 ans lui permettant de croitre sans à-coup et d'assumer grâce à ses connaissances parfaites de l'anglais des contrats et des chantiers un peu partout dans le monde.

L'argent des bases américaines permet de financer de nombreuses études tout en permettant d'intégrer les ressources techniques et humaines nécessaires à la réalisation des plus grands projets.

De 1955 à 1980, l'agence de Pierre Dufau sera en tête des classements de la MAF pour la valeur des encours des travaux construits assurés et le montant des cotisations versées ! Pendant un quart de siècle Pierre Dufau sera, pourrait-on dire, numéro un au box office de sa profession.

D'abord installée à son domicile parisien au 52 rue des écoles, avec deux dessinateurs, l'agence part pour la rue du Boccador puis la rue de la Grande Chaumière en même temps que l'agence principale s'installe dans un immeuble de bureau construit Fg Saint Honoré. Suivront une agence rue Oudinot puis Avenue Marceau. Pour finir l'agence sera enfin entièrement regroupée sur 2000m2 à Montparnasse dans l'immense complexe du « plateau Vandamme » dont il est l'architecte. Au total plus de mille collaborateurs travailleront dans l'agence, dont des dizaines d'architectes et de décorateurs qui y feront leurs premières armes et pourront ensuite se lancer à leur compte, souvent pour de belles carrières. Plus de 800 constructions ou affaires d'urbanismes seront menées à bien. Une centaines d'immeubles peuvent être considérés comme d'une qualité architecturale exceptionnelle à un titre ou à un autre.

Un architecte complet

Pierre Dufau s'inscrit dans la grande tradition des architectes « complets » alors que l'époque était de « déshabiller » la fonction d'architecte. La grande mutation est venue après guerre de la volonté de l'Etat de diriger la construction et d'en faire baisser les coûts. Le rôle de l'architecte a été considérablement réduit au profit des autres intervenants de la construction en même temps que sa rémunération était rogné. Seules ses responsabilités étaient maintenues. « A terme, si cela continue comme cela nous ne serons plus que des courtiers d'assurances ! » disait Pierre Dufau. Le comble fut la réforme Giscard qui a fait la part belle aux bureaux d'études et qui a considérablement contraint les architectes. Pierre Dufau n'admettait ni cette réforme ni le fait que beaucoup d'architectes renonçaient à effectuer des « missions complètes ». Il était notamment extrêmement réservé sur la pratique qui consistait à signer des plans et à se désintéresser de la suite, facilité à la quelle plusieurs grands noms ont cédé avec délice. Pour lui le chantier était crucial pour la qualité ultime de l'ouvrage et la satisfaction du client. Il refusait de considérer un bâtiment comme un dessin.

Pierre Dufau a créé l'OTAB, Office Technique pour L'Architecture et le Bâtiment, son propre bureau d'études pour le génie climatique et l'électricité. L'architecte devait être capable d'être l'interface du client pour toutes les questions y compris techniques, à charge pour lui de sous traiter les parties les plus pointues. Le client ne devait voir qu'une tête. La confiance ne se partage pas. Il ne lâchait rien sur les honoraires. Assumant toutes les responsabilités, il ne voyait pas la raison de travailler au rabais. Il faisait travailler en interne de nombreux décorateurs et ne considérait pas comme anormal de réaliser l'ensemble du bâtiment fini, décoration comprise. Il ne prisait pas non plus la démagogie des instances professionnelles qui multipliaient les places d'étudiants sans aucun débouché sérieux. La France ne permet pas à plus de 1000 architectes libéraux de bien travailler et à guère plus d'une vingtaine d'atteindre les dimensions permettant d'être compétitif à l'international 35.000 élèves lui paraissaient un peu trop ! 20 ans plus tard, la majorité des « architectes » ainsi formés sont devenus des salariés d'entreprise où ils ne font plus guère que de l'entretien et les petites rénovations ou des salariés de promoteurs où ils ne font que signer les plans. Beaucoup, pour ne pas dire la plupart, n'ont jamais eu l'occasion d'exercer !

Pierre Dufau était architecte ET urbaniste. Il considérait ces deux tâches comme complémentaires et s'épaulant l'une l'autre. Une parcelle fait partie d'un tout et il faut avoir une vision large. Et si on a une vision large alors il faut la mettre en pratique dans les plans d'urbanisme aussi et ne pas laisser le domaine devenir un espace exclusivement réservé à la sociologie et à la politique.

Pour avoir reconstruit une ville détruite et créé une ville nouvelle, il savait combien l'exercice était utile pour comprendre et dominer touts les rouages du métier d'architecte lui-même : la liaison avec le public, les édiles, les projets d'ensemble, l'administration, la réglementation. Pour avoir travaillé aussi bien dans les domaines du logement et du bureau, de l'industriel et du commercial, du public et du privé, il savait combien la confrontation avec un éventail varié d'utilisateurs ouvrait de perspectives et de connaissances utiles.

Aucune autre architecte français de sa génération n'a atteint une telle densité dans la palette des expériences possibles. En ces sens peut être aura-t-il été le dernier « des grands architectes » dans l'acception qui prévalaient au 18 et au 19ième siècle.

La variété de l'œuvre

Rares en effet sont les architectes qui ont pu développer leurs talents sur une aussi grande variété d'ouvrages. Il suffit d'en faire la liste pour comprendre toute la richesse de l'œuvre de Pierre Dufau :

Mairie (Créteil)
Préfecture (Bordeaux)
Palais présidentiel (Abidjan)
Ambassade (de France au Cambodge)
Palais des sports (Paris et St Etienne)
Aérogare (Accra)
Station de métro (Etoile Charles de Gaule)
Pont (Puteaux)
Cité scolaire (Amiens)
Hôtel (Hilton Paris, Sheraton Paris, Miramar- Thalassa Louison Bobet Biarritz)
Hôpital (Pasteur)
Sièges sociaux (innombrables)
Tours à la défense (Azur et Pascal)
Laboratoire (Kodak Pathé; Institut français du pétrole)
Usine (DBA)
Logements de luxe
Logements sociaux
Logements d'urgence (Abbé Pierre - Plessis Trevise)
Centres commerciaux
Maisons de ville
Villas de campagne
Villas de bords de mer.

En tant qu'urbaniste il est probablement le seul à avoir à la fois construit une ville nouvelle (Créteil) et reconstruit une ville détruite (Amiens), parmi des dizaines d'autres interventions d'importance.

Pour l'historien du métier d'architecte, Pierre Dufau est une exception : il n'y a pas dans toute l'histoire française de l'architecture un seul architecte qui ait eu l'opportunité de faire valoir son talent sur une telle variété d'ouvrages. C'est une carrière unique. A ce titre là au moins, Pierre Dufau mérite de rester dans l'histoire de l'architecture en France.

Les conceptions architecturales

Pierre Dufau a toujours décrit sa conception de l'architecture comme « cistercienne ». L'art roman lui paraissait l'exemple même d'une architecture complète et réussie. C'est une école de la forme qui impressionne par sa simplicité même, de la rigueur qui met en lumière des éléments décoratifs clairs et puissants. A contrario il était profondément opposé aux maniérismes, à la décoration pour la décoration, aux facilités du spectaculaire et aux modes.

Surtout Pierre Dufau avait en horreur la médiocrité. Architecte en chef de nombreuses opérations, il laissait cette consigne aux architectes : ne soyez pas médiocres ! Osez être des architectes ! Tolérant il admettait tous les styles, toutes les formes de talents. Mais il fallait qu'il y ait du talent.

Pierre Dufau aura été le grand prêtre de l'emploi de matériaux nobles. Marqué par la disette de matériaux qui a gâché la vie des architectes pendant des décennies à cause des deux guerres mondiales et de la crise de 29, il souhaitait vivement mettre en accord les œuvres architecturales et la nouvelle prospérité. Le verre, l'acier, le béton, le marbre, le bois, il aura tout utilisé pour créer des ouvrages dont les utilisateurs puissent être fiers.

Chaque œuvre devait être différente même si l'expérience acquise sur un ouvrage précédent pouvait être bénéfique au suivant. Chaque programme avait selon lui des caractéristiques uniques et surtout des contraintes spécifiques. La réponse architecturale ne pouvait être à son tour que spécifique même si des traits étaient repris d'un ouvrage à l'autre, s'il y avait nécessité.

On le constatera en consultant les photographies des principales œuvres : toutes répondent à des exigences bien précises même s'il y a sur bien des points des continuités et des reprises, bref un style et une patte Pierre Dufau.

Un autre aspect de la philosophie architecturale de Pierre Dufau aura été le respect absolu du maître d'ouvrage. On travaille pour un client. Celui-ci doit être satisfait. Sur chaque projet un temps infini était consacré à finaliser les attentes du client alors que le programme fourni était souvent indigent. « Surprendre le client avec ce qu'il attend » tel était son mot d'ordre. Dans un bâtiment coexistent de nombreuses préoccupations : économiques, sociales, fonctionnelles, réglementaires... Un architecte vit nécessairement dans le compromis. Il ne fait pas ce qu'il veut. Tout projet est un arbitrage. Aucune oeuvre architecturale ne peut être jugée sans avoir en main son budget, son programme, les désirs du donneur d'ordre et les contraintes réglementaires pesant sur les lieux. Pierre Dufau considérait que le rôle de l'architecte est d'agir sur tous ces domaines pour assurer la réussite et la cohérence de l'ensemble.

Comme il l'a expliqué dans le détail dans « L'architecte qui voulait être architecte » la contrainte réglementaire, souvent accompagnée d'abus, devait être fermement combattue quand elle ne correspondait à rien sinon des foucades ou des peurs irrationnelles voire des errements démagogiques. Il sera à la pointe de tous les combats pour qu'on ne bride pas à l'excès les architectes et qu'on laisse la France se saisir de toutes les opportunités nouvelles. Il sera à la pointe de tous les combats pour qu'on ne fasse pas de Paris un musée dont l'esprit serait bloqué à la case « Hausmann ».

Pierre Dufau sera également l'architecte de l'audace. A chaque construction ou presque il tente quelque chose.

L'innovation peut être dans la liaison avec la ville. Pour le siège de la Banque Rotschild il « casse » la rue, étroite et sans perspective et crée un bâtiment en croix comme il n'en existe aucun exemple à Paris.  Devant la mairie de Créteil il créé une place en marbre avec un décor de vagues unique au monde. Rue Oudinot pour un modeste immeuble mixte de logement et de bureau, il ouvre un jardin sur la rue qui éclaire cette rue très fermée.

L'innovation est aussi dans les procédés architecturaux. Pierre Dufau importe la technique des dômes Buckminster Fuller pour ses deux palais des sports à Paris et à St. Etienne. Il essaie un très grand nombre de matériaux nouveaux. Beaucoup de détails sont des innovations complètes, du « jamais vu ». Mais là encore, il ne s'agit pas de « gestes » symboliques. Si Pierre Dufau veut exercer son métier à plein, il n'est pas le théoricien d'un nouvel ordre architectural, ni même le parangon d'un style qui devrait s'imposer au monde.

Pierre Dufau est en effet dans sa vie personnelle et professionnelle, l'exemple même de la modestie. Son œuvre lui suffit ainsi que la satisfaction de ses clients. Le nombre exceptionnel des constructions qui lui ont été confiées démontre que cette confiance ne lui a jamais manqué. Pierre Dufau, contrairement à d'autres, ne recherchait pas la gloire médiatique. Un jour qu'un Ministre, lui remettant la légion d'honneur, affirmait : « vous devriez être connu comme le premier des architectes de France », il dit dans sa réponse : « Si vous demandez deux noms d'architectes Français, ceux qui vous répondrons quelque chose et ils ne sont pas nombreux, diront : La Corbusier qui est Suisse et Pouillon, qui est pris dans une escroquerie; que voulez vous que j'aille faire dans cette galère. »

Une grande architecture ?

La question est toujours délicate. Nous répondons oui et cela explique que nous ayons réalisé ce site hommage à Pierre Dufau. L'important est de donner à voir. A chacun ensuite de juger en fonction de sa propre expérience et de ses modes de pensée. La période des années 50,60 et 70 n'est pas à la mode, c'est le moins qu'on puisse dire. La majorité des gens l'assimile purement et simplement à un trou noir de l'architecture, ce qui est inepte et marque le désintérêt des Français pour l'architecture. On notera par exemple qu'aucune émission portant sur l'architecture n'a réussi à s'imposer sur les chaînes françaises de télévision. La critique de l'époque de Pierre Dufau comme celle qui prévaut aujourd'hui ne s'intéressent qu'à des œuvres « symboliques » de quelque chose et parfois de n'importe quoi. De même que Gabin n'a commencé à être respecté que plusieurs décennies après sa mort, alors qu'il a été sans aucun doute l'acteur qui a porté avec un grand succès populaire le plus de rôles différents, il est certain qu'il faudra encore un peu de temps pour que ceux qui se piquent d'éclairer les Français sur les arts se rendent compte qu'ils tiennent en Pierre Dufau non seulement la figure d'un des derniers grands architectes complets mais aussi un exemple majeur de la grande architecture de la fin de la second moitié du XXième siècle.